accueilGratien Gélinas au fil des annéesPrincipaux repèresProfil biographique
Oeuvres publiéesGratien Gélinas cinéasteInstructions quant aux droitsPhoto officielle
Oeuvres publiées sur Gratien GélinasDes archives à explorerEnglish

La société Productions Gratien Gélinas gère les droits d’auteur de l’ensemble de l’œuvre de ce dramaturge depuis son décès.


Administration et
gestion des droits d’auteur

anne-marie@amsicotte.com

 

Grand-père du théâtre québécois, Gratien Gélinas occupe une position unique dans l’histoire culturelle du Canada. Ses personnages bien de chez nous, ses succès retentissants et son acharnement à constituer pour le Québec une dramaturgie nationale ont fait de lui un créateur important, un véritable défricheur.

Son don pour la comédie le conduit jusqu’à l’écriture d’une série radiophonique qui propulse son personnage principal, Fridolin, dans le firmament des célébrités. Ce créateur doté d’une énergie peu commune devient la première grande vedette de la scène québécoise. Stimulé par ce succès, il écrit et produit sur scène la série des neuf grandes revues musicales Fridolinons entre 1938 et 1946.

À la fin des années 1940, il caresse l’ambition d’écrire une pièce de théâtre, qui deviendra Tit-Coq, la première pièce véritablement canadienne-française qui soit passée à la postérité. Viendront ensuite Bousille et les justes, qu’il considère comme sa meilleure pièce, ainsi que Hier, les enfants dansaient, résolument moderne.

Après avoir collaboré à l’essor du septième art au pays en présidant Téléfilm Canada, Gélinas retrouve le goût d’écrire une pièce. La Passion de Narcisse Mondoux sera son chant du cygne : victime de sénilité, il s’éteint en 1999. Ses pièces de théâtre et ses grands spectacles sur scène sont régulièrement joués par les troupes contemporaines, et de nombreux élèves étudient ses textes à l’école. Créateur fascinant par sa complexité et sa profonde humanité, metteur en scène doué et auteur de premier plan, Gratien Gélinas est l’un des géants de l’histoire des arts au pays.

 

 

Gratien Gélinas et l’amour du cinéma

Acte premier : précurseur de l’industrie
Au début des années 1940, Gratien a une passion à assouvir : le cinéma. Il est un fanatique du septième art. Chez lui, l’été, il passe ses moments de loisirs à imprimer sa famille sur pellicule. Ayant envie d’expérimenter ce médium, il fonde une entreprise de cinéma, se procure les meilleures machines sur le marché et loue un studio. « Murs et plafonds du studio sont recouverts d’un revêtement spécial qui absorbe les sons, et les fenêtres sont hermétiquement fermées. » Gratien planifie « une comédie de court métrage », ensuite intégrée à sa revue sur scène, Fridolinons. Il voudrait également produire des documentaires et même « de grands films » tirés des romans Maria Chapdelaine (Louis Hémon) Trente Arpents (Ringuet) ou Un homme et son péché (Claude-Henri Grignon)
          La première production démarre à l’été 1942. Avec Jacques Pelletier, décorateur, et Marc Audet, technicien à CKAC et cinéaste amateur, Gratien se rend à New York pour compléter l’équipement cinématographique : les projecteurs, l’équipement sonore et une caméra Eastman Kodak, « un des plus beaux modèles du temps, une caméra extraordinaire avec des magasins pour mettre des films ». Son équipe comprend également André de Tonnancour, le photographe de scène Henri Paul, et trois ou quatre autres, dont Henri-Paul Garceau.
          À l’automne, avec le scripteur Louis Pelland, Gratien écrit le scénario d’après La Dame aux Camélias, le roman d’Alexandre Dumas. Lors d’une émission radiophonique du Train de Plaisir, Gratien avait déjà pastiché cette célèbre œuvre française, faisant jouer à Fridolin le rôle d’Armand. Par ailleurs, l’actrice Juliette Béliveau fait, au cabaret, une parodie du ballet La Mort du cygne : elle jouera donc la dame en question. Armand est fou d’amour pour elle, qui en pince uniquement pour les espèces sonnantes et trébuchantes.
          Au rez-de-chaussée du studio de la rue Saint-Denis, l’équipe de tournage installe une chambre noire pour développer la bande sonore, séparée de la bande-image. Soudain, guerre mondiale oblige, le gouvernement canadien rationne la pellicule 16 mm à raison de cent pieds par mois par client. Or, pour le film, il faut entre 3 000 ou 4 000 pieds. Toute l’équipe se rassemble, se répartit en deux voitures et arrête à différents magasins pour acheter le maximum permis.
          Le tournage commence et toute l’équipe travaille d’arrache-pied. « Le travail pressait, on dormait trois heures puis on tournait dix heures. Les scènes d’intérieur allaient bien, mais celles d’extérieur étaient pénibles. C’était novembre, il faisait froid, il fallait se presser question lumière. » Marc Audet, à la caméra, court « au son en arrière, dans une petite cabane » pour dire à quel endroit partir le son. Gratien s’occupe du décor, de la mise en scène, de l’angle de la caméra. « Il venait voir dans la caméra, il se déplaçait comme un metteur en scène, de la scène à la caméra, “Je ne veux pas de ça, prends-lui la tête un peu plus grosse.” »
          Chaque bobine de cent pieds de pellicule est envoyée à Toronto pour développement, pour revenir cinq ou six jours plus tard. C’est alors qu’on constate les ratages… Du montage, Gratien et Louis Pelland n’ont qu’une connaissance fort relative. À la dernière seconde, Gratien trouve un bruit qui manque, une porte qui se referme, puis il saute dans un taxi pour aller à la gare. Car la copie finale du film monté doit être imprimée à New York. De peur de se la faire confisquer à la douane, Gratien la passe en contrebande. À New York, il doit terminer le montage des dix dernières scènes.
          Terriblement fatigué, il place des serviettes d’eau froide sur sa tête pour pouvoir tourner la visionneuse et ne pas s’endormir. » Plus tard, voyant pour la première fois un film qui lui a causé tant d’inquiétudes, il s’endort! Il revient à Montréal sans attendre la copie finale, livrée par la poste. La déception est immense : l’image est bouchée, les rouges ont viré au brun, les bleus au vert. Gratien est effondré. Avec son collège Garceau, il se tape un second voyage à New York. La nouvelle copie est loin d’être parfaite : le son mauvais et l’image très foncée, qui requiert l’utilisation d’un projecteur à arc, qui chauffe, au lieu d’un projecteur à lumière incandescente.
          Le public de Fridolinons 43 réserve un accueil houleux à La Dame aux Camélias, la vraie. Le scénario est peu convaincant, selon les critiques, et le tout, trop long. Gratien en ressent « une peine considérable », ayant l’impression qu’on s’acharne à ne voir que les erreurs. Après trois représentations, Gratien raccourcit beaucoup son film. Il est découragé. Tant de travail pour un résultat si éloigné de ses ambitions! Il met fin à son entreprise de cinéma, vend son équipement de cinéma.

Acte deuxième : le premier classique de l’écran
En 1953, l’industrie cinématographique québécoise prend son essor. J. A. de Sève, le propriétaire de la compagnie de distribution France-Film, propose à Gratien de tourner Tit-Coq. Le milieu artistique songe déjà à produire des « vidéo-films » pour la télévision, un tout nouveau médium qui a connu une expansion rapide aux États-Unis pendant les années 1940. La Société Radio-Canada, un service local de production et de diffusion, est sur le point de voir le jour. De Sève, lui, veut un long métrage pour le grand écran. Ce sera Tit-Coq, mis en scène par le Français René Delacroix, un réalisateur français.
          Gratien tient à demeurer propriétaire de son film; J. A. de Sève fait à Gratien une avance personnelle d’argent pour la production, et se remboursera à même les profits, en plus d’avoir les droits exclusifs de distribution et d’exploitation. Roger Garand est engagé comme directeur de production, assistant au metteur en scène et monteur, pour 3 500$ Delacroix, lui, est payé 3 000$ pour son travail à la mise en scène. De son côté, Gratien doit fournir, sans rémunération : les droits de sa pièce, son studio, son travail à la mise en scène, au découpage, au montage, et dans le rôle de Tit-Coq. Son seul salaire sera le profit réalisé par le film… après que France Film aura pris sa part. Le film est financé par avance sur recettes. Or, Gratien n’est ni incorporé, ni même assuré…
          La plupart des rôles principaux sont attribués aux comédiens de la pièce; leur salaire varie entre 75$ par jour pour Juliette Béliveau et 35$ pour Clément Latour. Monique Miller, 16 ans et demi, obtient le rôle de Marie-Ange… à 20$ par jour. Heureusement pour elle, un ami avocat lit son contrat, puis fait des pieds et des mains, avec l’appui de Gratien, pour faire monter ce salaire à 35$ par jour. Gratien fait ajouter au contrat que les dépenses de coiffure sont à la charge de la production, laquelle devra également lui payer un taxi soir et matin.
          La plupart des scènes du 13e film canadien sont filmées aux studios Renaissance, rue Côte-des-Neiges. Marc Audet, qui est technicien du son, se souvient d’un gars « qu’on appelait Joe Marteau, on dirait qu’il faisait exprès pour étirer le temps. On était prêts à tourner, il disait “minute !” et il clouait le décor qui selon lui était toujours prêt à tomber. » Le tournage terminé, Gratien s’installe dans son studio en compagnie de deux monteurs. Cette étape fascinante pour lui dure un mois, presque jour et nuit.
         
Tit-Coq est présenté en première le vendredi 20 février 1953. Jean Béraud évoque, dans La Presse du lendemain, une salle archi-comble donnant au film une ovation debout. « Nous voulions notre premier classique de l’écran canadien-français. Le voilà. Enfin! » Pendant toute l’année 1953, Tit-Coq est projeté à travers le Québec pour des recettes nettes de près de 170 000$. De cet argent, Gratien ne voit pas la couleur. Encore pis : trois ans plus tard, il devra encore près de 20 000$ à France-Film…

Acte troisième : l’art de distribuer des subventions
À la fin des années 1960, Gratien n’est plus à l’aise au sein du nouvel ordre culturel et théâtral que la génération montante de créateurs fabrique à son image. Il se trouve une autre cause à défendre, celle du cinéma canadien. Depuis novembre 1969, il est président du conseil d’administration de la Société de développement de l’industrie du cinéma canadien (SDICC), l’ancêtre de Téléfilm Canada. Il se consacre entièrement à cette nouvelle carrière. La SDICC a été créée en 1968 par le gouvernement fédéral pour développer l’industrie du long métrage au Canada, par investissements ou prêts. Le secrétaire d’État, Gérard Pelletier, fait appel à Gratien, un des rares Canadiens ayant fait des films, mais surtout un « French Canadian » acceptable à l’ensemble du pays.
          Au sein du petit milieu cinématographique québécois, composé en bonne partie de jeunes auteurs-réalisateurs, cette nomination paraît surtout politique, « parce que Gélinas a toujours été pro-canadien », témoigne le producteur Claude Godbout. Gratien peut néanmoins reporter sur sa nouvelle fonction son désir ardent de contribuer à l’édification d’une culture d’identification nationale. L’industrie du cinéma québécois est jeune, bouillonnante, et enthousiaste. Elle s’adapte au voisinage de la télévision en haussant les prix d’entrée, en ouvrant des ciné-parcs et de nombreuses salles à écrans multiples pour des publics plus réduits.
          Les fonctions de Gratien à la présidence de la SDICC sont, au commencement, assez simples. À intervalles réguliers, le conseil, composé de six membres, se réunit pour statuer sur les demandes d’aides financières qui lui parviennent. Mais rapidement, il investit une énergie croissante dans son travail. Puisque la SDICC doit sélectionner les projets de films à financer, il se met à lire les scénarios; puis il rencontre les producteurs et les réalisateurs, et il représente le Canada lors de festivals du film à travers le monde, comme celui de Carthage, en octobre 1970. Dès 1973, ses fonctions à la SDICC l’amènent chaque année à présider la délégation canadienne au Festival de Cannes. Selon une ancienne collègue, la présence de Gratien, plus d’une dizaine d’années, a donné une forte impulsion en termes de production québécoise, malgré tous les tiraillages avec les réalisateurs en termes de contenu, et malgré sa conception alors jugée surannée de la forme dramatique.

Source : Sicotte, Anne-Marie. Gratien Gélinas : La ferveur et le doute.